Journal d’un film guérilla : jour 3

Le 3ème jour de tournage, en plein juillet 2015 à Paris, correspond à la première scène du film. Qui plus est, c’est une scène en extérieur, et je dois en plus gérer des figurants, pour la toute première fois. Autant vous dire que j’ai la pression…

Avec Antony Clément, qui a assuré la première phase de la production, nous avons choisi de tourner sur les bords de Seine, vers l’Institut du Monde Arabe, là où se retrouvent chaque soir des groupes de danse ou de musique. Ca tombe bien : la scène met en présence un groupe amateur, auquel Marçao va demander s’il peut jouer avec eux. Nous sommes donc bien dans le contexte.

 


(Tourner vers le Jardin Tino Rossi, tout un symbole pour nous)

L’objectif de cette scène est de présenter Marçao : personnage étrange avec ses fringues farfelues et son ukulélé multicolore, mais surtout musicien de rue qui joue mal et qui chante faux. Comme scène d’introduction du film, ça me semblait pas mal. Mon idée première était même de présenter cette séquence avant le générique.

Préparation de la séquence

Pour tourner cette scène il me faut donc :

  • mon équipe technique et mon comédien
  • des figurants
  • un groupe amateur
  • une chanson (celle que va interpréter Marçao)

L’équipe technique est peu ou prou celle que j’ai évoquée plus haut, et composée des étudiants motivés et ultra cool.

Les figurants sont soient des amis à moi (merci Alice et Julie, Agnès, Tom et Max !) mais aussi des amis d’Auguste aka Marçao. Et en l’occurence, des amis du groupe amateur que va rejoindre Marçao, puisque les HOTD sont des amis d’Auguste (voir ci-dessous). Vient également se greffer un type qui passait par là, un Suédois héritier des 60s flower powerisées, lui-même n’ayant pas plus de 20 ans. Comment lui refuser de participer ? Le gamin semble nourri à l’herbe, aussi inoffensif qu’un pétale de pâquerette. En plus, à l’écran, il passe bien, pour peu qu’on ne montre pas ses sandales. Drôle de rencontre.

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(Março se la donne grave devant les HOTD)

Le groupe amateur est HOTD (Hero Of The Day). Ils ont une chouette chanson dans l’esprit des groupes de rock actuels, comme Green Day ou les groupes de métal un peu lyriques (ça fait bien longtemps que je suis descendu du train du rock pour prendre le vélib de la bossa nova. Pardon si la comparaison pique un peu :p) Bref : leur chouette chanson s’appelle You and Me Against the Fools. Hell yeah.
(Notons pour l’histoire que le percu au djembé, c’est Fred, mon beau-frère. Et que le djembé est celui que lui a offert Christian, un type vraiment important pour moi et pour lui, et que je suis ravi de faire participer de cette façon dans ce film).

Reste la chanson. Depuis que j’ai imaginé Marçao, j’ai cette idée débile qu’il a un héros, dont on ne sait pas vraiment s’il existe ou pas, et peut-être Marçao lui-même ne le sait plus vraiment, mais il l’a intégré profondément en lui-même et lui a donné vie à travers une chanson qui raconte ses aventures. Un peu comme un superhéros de Comics genre Marvel, un X-Men inconnu mais dont Marçao serait un fan absolu, issu de ses souvenirs, confus mais tenaces. Ce superhéros c’est Captain Seu, version superhéroïque de Seu Joao, un chanteur fictif que j’ai largement adapté de Seu Jorge, mon idole personnelle. Captain Seu serait le Spiderman de Peter Parker Seu Joao, en gros.

Bref : comme Marçao est un personnage lunaire, à la poétique polarisée vers l’absurde et qui n’en a rien à fiche tant il se sent investi d’une mission supérieure, il me fallait écrire une chanson qui révèle ça. C’est ce que j’ai essayé de faire, à partir de 4 accords sur un ukulélé. Vous me direz…

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(Les HOTD avant le massacre)

Le tournage sur les quais de Seine

Bon, nous voilà sur les quais, début d’après midi. Tout le monde arrive à l’heure (ou presque, la prod s’acharne à circuler à Paris en voiture. A Paris. En voiture.) Les figurants ont presque tous trouvé le chemin. Le soleil est au rendez-vous. Ca va le faire.

Il y a quelques précautions à prendre : on n’a pas le droit de filmer un monument de Paris sans autorisation. On n’a d’ailleurs pas le droit de tourner en extérieur à Paris sans autorisation, sauf si l’équipe comprend moins de 10 personnes et qu’on n’a pas de pied pour poser la caméra (je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi. Il faut savoir que ce qui attire le public lors d’un tournage n’est pas la caméra mais la perche du micro. Tout le monde a une caméra. Mais la perche, elle, elle veut dire « ici on fait du cinéma »). Pas le droit non plus, en théorie, de filmer les péniches. Ni les gens, sans leur autorisation.

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(Des figurants extatiques)

Péniche et Production Value

Dans le cinéma indépendant, et a fortiori dans le cinéma guérilla, il y a un principe aussi simple qu’amusant, voire lucratif : la Production Value. Ca consiste à exploiter au maximum tout ce qu’on obtient gratuitement alors qu’on devrait payer des fortunes pour l’avoir. Ca donne au film une dimension plus grande, ça donne le sentiment qu’un gros budget a été attribué, ça améliore la perception que le public en a. En résumé, la production value c’est tout bénéf et il faut en profiter autant que possible sans hésiter. Exemple de production value : la tour Eiffel. Des péniches sur la Seine. Des musiciens talentueux qui jouent pour vous.
Autant vous dire que des péniches, on en a filmé quelques unes, et avec gourmandise.

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(Oh une péniche)

Sur le plateau, l’ambiance est plutôt détendue. Je ne veux pas brusquer les figurants qui sont venus, je ne veux pas donner à l’équipe technique (que j’ai convaincue du sérieux du projet depuis Montereau, mais que je connais encore assez mal) l’image d’un réalisateur mégalomane, je veux que sur le tournage il y ait une bonne ambiance. Donc je suis cool.

On finit un peu tard malgré le soleil de juillet, et la lumière est instable. Mais les images sont plutôt réussies. Les figurants sont restés jusqu’au bout. On les libère après quand même plusieurs heures de tournage (3 heures, de mémoire). On a réussi à se débarrasser du joueur de djembé qui s’est installé comme chez lui (et en un sens il a raison. Mais c’est pourtant pas compliqué de voir qu’on tourne un film et d’aller jouer ailleurs. Que voulez-vous, les joueurs de djembé et moi, ça fait deux…) Les gags fonctionnent, tout s’est bien passé, on plie.

Léger problème technique

Premier souci : mon comédien principal. Attention, je l’adore. Mais dans l’instant de cette scène, il n’a plus exactement en tête les paroles de ma chanson absurde. On refait les prises plusieurs fois, et je lui reconnais ici, devant vous, un talent incroyable, qui est d’oser s’exposer comme il l’a fait devant un public inconnu de passants ahuris.
Néanmoins, il n’a plus les paroles. Et dans l’action, et sans casque, et dans l’euphorie, je ne contrôle pas ça (deuxième souci).

En soi, ce n’est pas bien grave : la chanson est suffisamment absurde pour que l’ordre des couplets n’ait pas de véritable impact. Et on entendra la chanson plusieurs fois dans le film. L’essentiel n’est pas là.

Mais…

Mais l’équipe de son maîtrise encore mal le matériel de location (troisième souci. Encore un et on reforme les Banshees). Et je ne sais plus exactement quoi, mais soit ils oublient de retirer la carte mémoire du magnéto, soit ils n’ont pas enregistré le son au bon endroit, soit autre chose. Ca n’est que le lendemain, en vérifiant les rushs, qu’on se rendra compte qu’on n’a pas de son. Du tout. Rien.

Tirer des leçons de chaque scène

Bon, qu’à cela ne tienne, on enregistrera les pistes son à part, en doublant la vidéo.
Sauf qu’avec les paroles à l’envers, quand on refait la voix, on ne vérifie pas que la chanson est dans le désordre. Résultat : une bonne partie de plaisir au montage, un véritable jonglage, qui m’apprend plein de trucs et nous pousse avec Roberto le monteur à ruser en permanence.

(On refait la prise avec les HOTD pour le son. Et moi au djembé. Un gag en soi)

Je crois comme Godard (en fait, grâce à lui) qu’une bonne scène peut être floue ou cumuler les défauts techniques, tant qu’elle dégage de l’émotion. C’est cela qui compte : l’humain dans le film. Je crois qu’à partir du 3ème jour, j’ai pris cette idée comme fil conducteur majeur de l’histoire, et de l’aventure que nous étions en train de vivre. Cap sur l’humain, fi des écueils techniques. On n’a pas vraiment le choix, alors assumons-le toutes voiles dehors !

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